jeudi 7 mai 2009

Sans titre

Le phénomène n'est pas nouveau mais la presse en a parlé abondamment ces derniers temps, du moins en Suisse : la maltraitance des personnes âgées est un faux sujet d'actualité, elle a toujours existé et continuera d'exister encore longtemps, même si des associations ont vu le jour dans le but de briser ce tabou et de venir en aide aux victimes.

Le constat est amer et les plus sombres d'entre mes lecteurs ne manqueront pas de me rappeler que la maltraitance touche tout le monde, du nourrisson âgé de quelques jours au grand-père de quatre-vingt six ans, de l'enfant de huit ans à l'adolescente de quinze ans, en passant par la femme de cinquante ans; même si l'opinion publique évoque moins souvent la violence dont sont victimes des hommes "grands et forts", elle est une réalité que l'on ne peut plus ignorer.

La question qui occupe mon esprit est la maltraitance découlant non pas d'un acte de pur sadisme, de cruauté gratuite, de méchanceté claire mais celle résultant d'un épuisement de ceux qu'on appelle les aidants naturels. Ces aidants, ce sont les personnes qui prennent en charge un malade, peu importe son âge : un époux, une femme, une mère, un frère, une tante ou un voisin.

Ces gens, dans un grand élan d'amour souvent, par sens du devoir ou encore par conviction personnelle ou religieuse parfois, consacrent beaucoup de temps et d'énergie aux soins, allant jusqu'à apprendre à effectuer des gestes techniques relativement difficiles, soutenant la personne malade ou âgée dans les actes de la vie quotidienne : le lever et le coucher, la douche, l'habillement, les repas, autant de choses qui semblent évidentes lorsqu'on est en forme, autant d'instants difficiles lorsqu'on est atteint dans sa santé.

Malheureusement, au fil des jours, des semaines, des mois, souvent même des années, l'entourage se fatigue, physiquement et nerveusement, frappé de plein fouet par une pathologie parfois très lourde et qu'il ne comprend pas forcément, par les réactions imprévisibles du malade, par l'aggravation de la maladie.

Et lorsque les difficultés s'accumulent, lorsqu'il faut multiplier les interventions auprès de la personne dépendante, lorsqu'il faut conjuguer vie professionnelle et prise en charge de plus en plus conséquente, le risque de maltraitance augmente. Insidieusement, à l'insu des intervenants, contre leur volonté, souvent même sans que personne ne s'en rende réellement compte.

Je l'ai écrit ici : il y a quelques jours, j'ai enfin rendu visite à un homme que je considère comme mon parrain. Avant d'entendre ces mots pour la première fois, j'ignorais jusqu'à l'existence de cette maladie qui, petit à petit, le consume, au point maintenant de l'emmurer en lui-même : sclérose latérale amyotrophique.

Il a perdu l'usage de ses jambes, il est dans l'incapacité de se nourrir, il ne peut plus ni boire ni parler et la seule manière qu'il a encore de communiquer consiste à glisser un doigt sur des cases pré-imprimées "j'ai froid", "j'ai sommeil", "je dois aller aux toilettes" posées sous sa main. Une grande partie de ses journées se déroule devant la télévision : il arrive encore à changer de chaîne en pressant sur un bouton de la télécommande.

Alors que j'étais assise à côté de lui, je l'ai vu faire un effort considérable pour lever sa jambe. Cette tentative s'est soldée par un échec : sa femme a dû soulever son pied pour le poser sur un petit escabeau. Et pendant qu'elle aidait son mari, elle m'a expliquée qu'il s'était foulée la cheville, laquelle était toujours enflée. "Mais bon, on ne voit pas de différence avec l'autre jambe, tu sais, il fait de la rétention d'eau, regarde". Et de soulever le bas du pantalon des deux jambes jusqu'aux genoux.

J'ai été horrifiée, incapable de réagir. Horrifiée non pas devant ces deux jambes très fortement gonflées mais par cette (relative) exhibition, nullement mal intentionnée.

Cet homme, alors qu'il était valide, n'aurait jamais, je crois, toléré qu'elle ait un tel geste devant moi; son incapacité totale à s'en défendre ne légitimait pas maintenant cette impudeur. En revanche, l'inquiétude, la solitude, le désarroi et les craintes de sa femme l'expliquent très certainement.

Je n'accuse pas cette femme d'être maltraitante, je constate simplement qu'être aux côtés d'un être cher durant ses derniers instants est extraordinairement difficile, la volonté, le courage, l'amour, la détermination ne suffisant pas forcément pour rendre le soutien adéquat à tout instant.

Ce soir, avant d'aller me coucher, j'ai juste envie de garder à l'esprit qu'il importe de dire à ceux qu'on aime à quel point ils nous sont précieux : cette femme, demain, ça pourrait être moi; cet homme malade, demain, ça pourrait être moi.

A bientôt je l'espère.

6 commentaires:

  1. La sclérose latérale amyotrophique est la maladie de Charcot ?

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  2. Ouf, j'ai eu peur que ta conclusion soit "cette femme, demain, ça pourrait être moi; cet homme malade, demain, ça pourrait être Mister" ....

    Moi qui tient beaucoup à mourir de mon vivant ;-))

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  3. Je te suis complètement: le fameux droit à la dignité....
    Bon courage pour ton parrain.

    Sophie

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  4. Y a t il vraiment que ce type de maltraitance là qui remplisse notre planète ?
    J'exerce un métier d'aide et suis subjectivement touché par la souffrance mais je me dois de rester objectif sinon je ne peux aider.
    Quelquefois, on rencontre la souffrance sous un angle inattendu. Un de mes patients est HIV. Un des soignants s'est piqué avec une des aiguilles ayant servi à ce patient.
    Le soignant a été pris en charge et ne risque sans doute rien; mais ce qui m'a surpris a été la réaction de très grande émotion du patient qui a demandé comment il pouvait aider, intervenir, s'est excusé, ne savait plus quoi dire: il souffrait.

    Anonymement: Franklin

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  5. dur ...
    oui, et qui sait comment on serait dans pareil cas ?

    bise et bon courage pour soutenir de ton mieux ton parrain
    Lunap

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  6. Un détail certainement, ce que tu racontes, mais c'est tellement maladroit.

    J'espère que si un jour je suis dans la situation de ton "parrain", je ne devrai pas vivre ce genre d'impudeur.

    Ou alors finalement, mieux vaut perdre la tête…

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