jeudi 20 mai 2010

Je ne saurai jamais....

La semaine précédant la naissance de Tom Pouce, j'ai été hospitalisée suite à une "rupture prématurée des membranes" : en d'autres termes, la "piscine" de mon fiston s'était brusquement vidée, entraînant la nécessité d'une surveillance médicale très serrée et une prise en charge assez lourde.

Durant ces sept jours, j'ai fait l'expérience surréaliste de vivre totalement couchée, tout le temps : manger, lire, dormir, téléphoner couchée, ça le fait assez bien; se laver n'est pas forcément très facile mais c'est jouable moyennant un peu d'entraînement.

En revanche, il faut avoir vécu ces instants de grande solitude consistant à faire pipi dans un "vase" (l'exercice le plus périlleux étant de le reposer ensuite "plein" sur une chaise à côté de soi en attendant qu'une aide compatissante vienne le vider) pour ressentir ensuite immédiatement beaucoup de gratitude pour le personnel et beaucoup de tendresse pour les patients qui sont astreints à une telle restriction durant de nombreux jours, voire de nombreuses semaines....

Et je ne vous parle même pas de la "grosse commission" : aller à selle, les fesses posées sur ce même bassin demande une bonne dose d'humour, surtout lorsqu'une autre femme est alitée juste de l'autre côté d'un rideau qu'on ne peut même pas tirer complètement soi-même parce que trop éloigné du lit...

Cette femme de l'autre côté du rideau, au risque de vous choquer, je ne connais même pas son prénom, je ne le lui ai jamais demandé, elle n'a jamais voulu connaître le mien !

Je l'ai assez peu vue, d'une part parce qu'elle passait beaucoup de temps à regarder la télévision (avec un casque heureusement), d'autre part parce que parfois, j'évitais de lui parler, son moral étant encore plus bas que le mien : j'avais besoin de toute mon énergie pour ne pas craquer devant l'incertitude quant au moment de la naissance de Tom Pouce, pour ne pas être submergée par la crainte de complications lors d'une naissance dont je savais qu'elle serait prématurée. Écouter ses propres inquiétudes aurait nécessité une empathie dont je me savais incapable à ce moment-là et je ne suis pas douée pour discuter des plateaux repas d'un hôpital ou de la pluie d'un mois de décembre.

Toutefois, même lorsqu'on ne parle guère avec quelqu'un, on finit forcément par apprendre certaines choses, à en deviner d'autres.

Elle m'a expliqué qu'elle allait être obligée de rester en lit strict jusqu'à la fin de sa grossesse, que celle-ci en était à la 19e semaine lors de son arrivée à l'hôpital, que l'équipe avait fait le choix du cerclage du col. Son mari habitait à plus d'une heure de voiture du CHU et ne pouvait donc pas venir très souvent lui rendre visite.

Le surlendemain de la naissance de Tom Pouce, je suis allée la voir brièvement, en particulier pour lui apporter des fruits - j'avais appris qu'elle aimait les fruits exotiques et comme j'en avais reçus, j'ai eu envie de les partager avec elle - puis je suis retournée dans mon "unité" : elle était en "prénatal, moi en train de naviguer entre le service de maternité - pour moi - et le service de néonatologie - pour Tom Pouce -.

Mon petit bout d'homme a été ensuite transféré dans un hôpital de zone, la surveillance constante des soins intensifs du CHU n'étant plus nécessaire neuf jours après sa naissance. Je n'ai donc plus jamais revu cette femme.

Allez savoir pourquoi, je pense souvent à elle.

Je me demande quand elle a senti pour la première fois son enfant bouger en elle, quand elle a pu reposer pour la première fois un pied par terre, comment elle a vécu ces longues journées alitée, avec pour seule compagnie des séries télévisées sans intérêt, avec un moral en dents de scie.... J'espère qu'elle a pu mener cette grossesse à terme et qu'elle tient aujourd'hui dans ses bras un magnifique enfant : tiens, est-ce un garçon ou une fille ? Ça non plus, je ne le saurai jamais.

Et je n'ai pas cherché à le savoir : je n'ai aucun moyen de la retrouver et l'équipe médicale ne serait logiquement pas autorisée à me donner des nouvelles.

Peut-être que le hasard de la vie fera qu'un jour, je la reverrai; j'en doute mais n'empêche, j'aimerais bien savoir.

Et vous, vous arrive-t-il de penser à quelqu'un que, selon une vraisemblance confinant à la certitude, vous ne reverrez jamais ?

A bientôt si vous le voulez bien,

9 commentaires:

  1. Bien sur que ça m'arrive et assez souvent même. Des personnes avec lesquelles je m'entendais très bien, avec qui j'ai passé un bout de vie et que j'ai perdu de vu. C'est dommage.

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  2. Mais ces gens-là, vous pouvez les retrouver assez facilement, non ? Par une ancienne adresse, postale ou électronique, par le biais d'amis communs.

    N'avez-vous jamais repensé à une personne que vous ne pouvez pas retrouver ?

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  3. Une relation implique au minimum 2 personnes. Quand aucune des deux ne marque d'intérêt vrai pour l'autre .... et il arrive que ça n'ait iren de "coupable"
    Et puis la situation décrite ici, implique automatiquement un niveau de stress et d'inquiétude non raisonnables. Une femme, enceinte est hospitalisée - et pas pour un ongle cassé, dans le monde froid du professionnalisme médical, avec un enfant en attente de vie, niché au plus profond d'elle même, et les préoccupations quasi animales doivent être satisfaites. Comment communiquer ? comment "empathiser" ?

    Bien sûr que de par le monde, des gens me manquent, même si je sais comment les joindre ou pas, peu importe; ce qui prime, c'est la volonté de "faire un bout de chemin ensemble" et de décider ou non de continuer. Un film de Lelouch raconte ça très bien: "Il y a des jours et des lunes".
    On ne sait pas pourquoi, la sauce ne prend pas, et on s'en moque. Le bonheur d'avoir été ensemble, d'avoir partagé est modulé par la tristesse du manque. Il en est ainsi. c'est un modèle de situation. Il n'y a qu'à accepter. Que faire d'autre ? Verre à moitié plein ou à moitié vide ? C'est affaire de point de vue.

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  4. Chère Mary,
    Chacun a abandonné des amis, pour toutes sortes de raisons.
    Plus tard, on essaie parfois d'en retrouver un.
    Je me souviens d'un prof en humanités...
    J'avais même retrouvé sa maison, mais le nouvel habitant ne savait pas ce l'ancien était devenu.
    Plus tard, je me suis juré que ce genre de choses ne m'arriverait plus...
    Un autre professeur rencontré par hasard (lecture d'un de ses ouvrages), est devenu mon ami, a "chamboulé" réorienté ma carrière professionnelle, et m'a même rendu visite (voyage de mille kilomètres) pour assister à un de mes anniversaires de mariage alors qu'il était devenu recteur d'une université de France.
    Amitiés

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  5. Je pense de temps à ces femmes côtoyées en néonat (et oui aussi) et dont les enfants étaient dans des états bien pire que le mien.

    Je ne sais pas si ces enfants ont survécus à la néonat et si oui, dans quel état... Nous avions discuté 2-3 mots dans le petit coin protégé du bout du couloir où nous tirions notre lait. La promiscuité de l'endroit et l'intimité de l'action, nous poussaient à échanger quelques mots sur notre épreuve de vie.

    Je ne sais en effet, pas non plus si je les recroiserai un jour. Je ne pense pas, surtout qu'avec le temps, j'ai oublié les noms et même les visages d'alors.

    Ca me rend plutôt triste, mais c'est comme ça...

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  6. A savoir si tu places dans ta vie des regrets ou de la nostalgie. Pour ma part, je garde beaucoup de souvenirs emprunts de nostalgie, un "et si ?" trainant dans la tête. Je me rends compte par ex que je ne connais ni le nom ni le prénom de la vieille dame à qui nous achetions nos sandwich "porc roast" le samedi midi en Angleterre sur la place du marché. Nous y sommes retournés il y a qq mois, elle nous a reconnus. Sera-t-elle là l'année prochaine quand nous y retournerons ?

    Arf, j'arrete là, je sens poindre le blues ;-))

    Bises et je suis contente de trouve la force et le temps de venir te relire

    Lunap

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  7. Franklin, justement, parfois, "empathiser" permet de ne pas se regarder le nombril : les rares fois où cette femme et moi avons parlé, j'en ai un peu oublié ma propre "misère". Donc, je pense qu'empathiser permet aussi d'aller mieux soi-même, parfois.

    Armand, il doit être vraiment étrange, ce sentiment : sonner à la porte de quelqu'un, demander des renseignements sur l'ancien occupant pour repartir bredouille. Et c'est tellement joli, ce voyage pour venir à un anniversaire de mariage, tout cela après une lecture.

    Sylphide, je suppose qu'il te semble à la fois si proche et si lointain, ce temps de la néonat... Que de chemin parcouru depuis mais que de souvenirs forts encore au fond du coeur...

    Lunap, j'espère que mon blog te donnera plus souvent le punch que le blues : prends bien bien soin de toi, ok ? Et - même si le conseil est très con - essaie d'être zen... ;-)

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  8. Je me rappelle cette petite vieille un peu perdue... j'étais partie à la capitale pour un entretien d'embauche à l'époque, et étant sortie de là très tard (l'entretien avait duré de 9h à midi), j'étais passée dans un fast-food... bondé.

    Elle était assise seule à une table, je lui ai demandé la permission de manger auprès d'elle.
    Elle attendait quelqu'un. Mais elle s'est mise à me raconter sa vie. Ses malheurs surtout. De gros problèmes depuis la mort de son mari, que son fils lui causait. Toute perdue qu'elle était. Je n'ai pas vraiment pu l'aider, mais je lui ai offert de l'amitié, l'espace d'une heure. Et en repartant, je suis allée acheter une carte, lui ai écrit un petit mot et suis allée la lui remettre.

    Je n'aurai jamais de ses nouvelles, mais de m'être sentie utile, juste un instant, m'a fait du bien, à un moment où justement je passais par des épreuves difficiles. Je les avais oubliées, pour elle.

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  9. Chrysopale,

    Il me touche beaucoup, ton récit : je trouve tellement fort, cet instant partagé avec une inconnue, qui va directement dans le vif du sujet, qui ne parle pas de la pluie et du beau temps... Elle a eu de la chance de tomber sur toi ! Et ton geste de la carte est magnifique !

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