Devant l'ampleur de mon désarroi, mon médecin généraliste m'a envoyée il y a déjà quelques mois chez une neuropsychologue parce que "docteur, j'ai un problème, je ne sais pas lequel mais ma mémoire fout le camp, grave, souvent, tout le temps en fait" (je vous résume l'entretien, vous l'aurez compris).
Verdict après deux heures de tests, ma mémoire est "dans la norme pour une personne de mon âge".
D'un côté, c'était "rassurant", il était donc loisible à la Faculté d'exclure un
Alzheimer précoce (et d'autres problématiques du même ordre), ouff.
D'un autre, c'était totalement angoissant : "
les autres gens, ils ont toujours eu une mémoire comme ça, ils vivent avec ça depuis toujours ? Mais comment font-ils ? C'est over galère !" (Je copie François parce que figurez-vous, je me souviens qu'il
pense en italique, ça fait joli je trouve).
A l'occasion d'un dîner (déjeuner si vous avez voté Macron), j'ai confié ma perplexité à deux amies d'enfance : AC et M ont éclaté de rire "toi, une mauvaise mémoire, ça ne se peut pas, t'as toujours tout gardé en tête, depuis toujours, t'as la meilleure mémoire qui existe sans devoir faire d'efforts !"
Sachant que nous sommes liées depuis nos 10 ans, j'admets qu'elles avaient un certain recul sur la question et que ce que j'avais cru être la norme ne l'était en réalité pas.
N'empêche, le constat était là : ma mémoire, même si elle est maintenant dans la norme, n'est plus "ce qu'elle avait été".
Dans un premier temps, j'ai dû me défaire de l'angoisse que cela suscitait : prendre des notes lors des entretiens, me mettre des rappels dans l'agenda, consulter mon dossier avant certains cours, autant de choses que je n'avais pas l'habitude de faire parce que cela n'avait jamais été nécessaire. Le "pire", c'est probablement le fait que je n'avais jamais pris vraiment conscience du fait que mon entourage le faisait, tout ça, tout le temps !
C'est bête à dire mais il m'a fallu du temps pour composer avec cette réalité mais c'est chose faite maintenant, à tout le moins la plupart du temps.
En revanche, il m'a fallu trouver une autre stratégie pour retrouver le prénom du fils d'une collègue, le nom d'un peintre par exemple. Et ça, ça a été un long chemin pour moi, sérieusement : j'ai passé beaucoup de temps à dire "mais oui, tu sais, le mec qui...", "tu te souviens de la personne qui a...." parce que j'avais oublié, le trou, le vide, le néant, rien.
A mon grand étonnement, la personne en face me disait très souvent "oui, oui, je vois bien mais je n'arrive pas non plus à retrouver le nom" tout en restant parfaitement sereine, sans marquer le moindre stress : c'était donc ça, la normalité ?
Parce que ces trous de mémoire étaient devenus anxiogènes pour moi - j'oublie, j'ai peur d'oublier, j'oublie encore plus, j'ai peur d'oublier encore", j'ai décidé de "m'écouter".
Et "m'écouter" dans ce genre de situation, c'est de ne plus parler, prendre trois à dix secondes pour laisser venir
l'image associée à ma recherche : le tableau en question, je ne devais plus le décrire, je devais le "voir mentalement". Et là, paf,
Modigliani me revient (presque) facilement, ouff à nouveau. Pour le prénom du fils de la collègue, c'est pareil, à condition toutefois que j'aie déjà vu ledit fils, ce qui n'est pas toujours le cas, malheureusement.
Bref, tout cela pour vous dire que ma mémoire, si elle avait été encore bonne, je me serais souvenue que j'avais déjà fait moult billets (dont notamment
1,
2,
3) à son sujet : il se trouve que j'avais oublié, pardon !
J'espère que vous n'allez pas, vous, oublier de revenir me rendre visite, ici ou ailleurs !
A bientôt si vous le voulez bien.
Ah, pardon, zut, j'ai oublié la question rituelle : vous la devinez ?
Signé : Dory