jeudi 12 juillet 2007

Une journée ordinaire

Assise à mon bureau, comme tous les jeudis, je vois, sur une page de papier blanc, des mots qui s'alignent, se suivent, s'assemblent et qui devraient, logiquement, former un tout cohérent. Parce que, forcément, maîtrisant le français, sachant lire et écrire depuis trente ans, je devrais être capable de saisir le fil conducteur de la réflexion, suivre les énoncés, appréhender la problématique.

Et pourtant - je dois avoir trop d'imagination - la seule chose que je vois, ce sont des images, des scènes, des flash.... Cette succession de lettres n'évoque rien dans mon cerveau, mais devant mes yeux, des mains qui frappent, des mains qui donnent des coups, un corps recroquevillé dans un coin du salon, juste à côté de la télévision, du sang qui coule; mais dans ma tête, des cris, des hurlements, des sanglots, des supplications....

Je me concentre à nouveau sur le texte, un rapport comme j'en vois parfois, où la question n'est pas tant juridique mais le reflet du désarroi ressenti par l'auteur, qui me demande de "corriger" son texte.

Trois pages : une seule et longue litanie, sur la misère, sur ce qu'il se passe derrière les portes fermées de la vie d'un couple, tout un pan de son existence qui s'étale, là, sous mes yeux, après le café de dix heures et avant la réunion de onze heures, qui coule comme un lent poison, pour se distiller dans mes veines.

Je corrige, de ci, de là, un accord, un participe passé, je supprime des redites, j'ajoute un point virgule. Et je m'accroche à mon code pénal comme à une bouée de sauvetage, qui ne pourra presque rien. Parce qu'une partie du mal ne se soigne ni avec des articles ni avec une procédure. Mais parce que c'est mon job, je vérifie encore la teneur exacte de l'art. 122 CP (code pénal), traitant des lésions corporelles graves, de l'art. 189 CP (contrainte sexuelle) ainsi que de l'art. 190 CP (viol).

Finalement, j'ajoute le destinataire, en haut à droite : Centre de consultation LAVI (loi d'aide aux victimes d'infraction).

Machinalement, je me lève, prends dans ma bibliothèque un ouvrage particulier, à l'affût du moindre élément qui me permettrait de donner une "piste supplémentaire à mon client. Et je lis au hasard....

"Coûts sociaux de la violence contre les femmes en Suisse : chaque année, les conséquences financières de la violence contre les femmes se chiffrent à plus de 400 millions de francs, dont la majeure partie est à attribuer à la violence conjugale.

Justice et police : 186,8 millions
Santé : 133,4 millions
Social : 80,8 millions, dont 5,7 millions pour les centres d'accueil".

Je dois être d'une curiosité morbide : je vais contrôler l'une des références sur internet, pour lire le rapport mondial sur la violence et la santé, paraît que c'est un résumé...

Et je lis également les recommandations du Conseil exécutif de l'OMS :

  1. Elaborer et mettre en oeuvre un plan d’action national pour la prévention de la violence et en suivre l’application.
  2. Développer les moyens de collecte de données sur la violence.
  3. Définir les priorités et encourager la recherche sur les causes, les conséquences, les coûts et la prévention de la violence.
  4. Promouvoir des mesures de prévention primaire.
  5. Renforcer les mesures en faveur des victimes de la violence.
  6. Intégrer la prévention de la violence dans les politiques sociales et éducatives et promouvoir ainsi l’égalité entre les sexes et l’égalité sociale.
  7. Renforcer la collaboration et les échanges d’informations en matière de prévention de la violence.
  8. Promouvoir et surveiller l’application des traités internationaux, des lois et des mécanismes de protection des droits fondamentaux.
  9. Rechercher sur la base d’accords internationaux des ripostes concrètes au trafic mondial d’armes et de drogue.
Voilà, je contribue probablement, par le biais de la "correction" de ce rapport à la "collecte de données sur la violence". Je me demande surtout quand seront prises des "mesures en faveur des victimes de la violence".

Je clique sur "envoyer", referme le dossier, il faut que je me dépêche, je vais être en retard à la prochaine réunion. Et je me surprends à rêver d'un monde parfait, où il n'y aurait que des Inès de la Fressange...

Ce soir, Junior a cassé involontairement son signal de "chef de gare"; il a été tout surpris lorsque j'ai immédiatement accepté de lui en offrir un nouveau prochainement...

A bientôt si vous le voulez bien,

13 commentaires:

  1. Ton métier ne dois pas être facile tous les jours, comment ne pas s'impliquer personnellement suivant "les affaires" ??? comment ne pas "en ramener à la maison" ??? comment oublier le boulot une fois la porte du bureau refermée ????
    Et encore, j'imagine que y'a pire....
    Je t'embrasse

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  2. Et même pour les victimes qui ont la chance de voir un jour disparaître leurs blessures, les cicatrices psychologiques elles, me semblent rester à vie. Encore des destins brisés.
    Bon courage pour cette nouvellle journée... Du courage, on en a tous bien besoin.

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  3. Ysa, ce qui n'est pas facile, avec le job que j'occupe actuellement, c'est que je suis ou "trop loin" de l'endroit où l'on peut (éventuellement) faire quelque chose (centre LAVI justement, travail d'avocat au barreau en particulier) ou "trop prêt" (parce que, finalement, je pourrais être responsable de gérer le pognon de Bertarelli mais bon, comme je sais à peine retenir mon no de téléphone, il a eu fin nez de ne pas m'engager).

    Là, je suis un peu comme la tranche de jambon, coincée entre deux réalités, sans aucune influence réelle sur la situation mais assez proche quand même pour me la prendre en pleine tronche au-travers de tels rapports. Heureusement, ils sont assez rares.

    Schizozote, là de nouveau, ce que je trouve terrible, dans mon cursus professionnel, c'est que jamais, je n'ai eu de nouvelles des victimes que j'ai "croisées" de près ou de loin alors qu'il en est plusieurs auxquelles je pense souvent et "prie" pour qu'elles aient la force de se reconstruire un peu....

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  4. t'as une belle tête de tranche de jambon, tiens... blague à part...


    raccroches toi à ta réalité, fais ce qui te semble juste, mais non on ne peut pas tout. juste humaine et pro dans ton cas.



    je t'embrasse très fort

    Pascalou

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  5. Comme tu m'as demandé de te tenir au courant, Mary, ben voilà : j'ai échoué à mes examens... :-(
    Retour à la case départ...

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  6. Tu as été là dans le processus de réparation, et lorsque réparation il y a, ces victimes peuvent entamer une reconstruction. Heureusement, la résilience existe...

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  7. Il y a comme une suite logique dans tes messages: hier la graine de la discorde pour des serviettes capricieusement pliées, aujourd'hui l'escalade de la violence conjugale... décidément les hsitoires de Il vient de Mars, Elle vient de Vénus n'ont pas fini de perturber le climat de la planète Terre...
    Moi je vais fêter mon 17ème anniversaire de mariage aujourd'hui, et d'un coup je me trouve bien chanceuse au bras de mon mec, un peu arrondi par les ans, mais toujous aussi charmant.

    de: Gitane

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  8. Atropine, je n'aurais pu mieux "dire"....

    Pascalou, qu'est-ce qu'elle a, ma tronche, hein ? De cake, c'est vrai....

    KHannibal, je suis sincèrement désolée pour toi : je suis navrée que ton boulot n'a pas payé mais j'espère que tu vas pouvoir "corriger le tir" et les réussir en octobre. Allez, commence par te reposer un peu, ok ?

    Nathpoing, je veux croire, encore et encore, à la capacité de résilience, y a juste des jours où c'est plus dur que d'autres...

    Gitane, tu sais pourquoi ton mari est toujours charmant ? Parce que tu l'es aussi et que vous avez "bossé" pour être là, aujourd'hui : le couple, c'est certainement la plus belle réussite mais quel "travail" ! En tout cas, très bel anniversaire de mariage, le soleil est au rendez-vous pour marquer l'événement. Bises à toi et à ta famille,

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  9. Oh ben tu sais Mary, je m'en remettrai. Mais je ne me présenterai pas cet automne car je bosse tout l'été et je n'aurais pas le temps de réviser. Et risquer l'échec définitif ne me tente pas vraiment... ;-)

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  10. Je me rends compte que je suis trop remonté contre les centres de consultation LAVI pour rédiger un commentaire constructif, donc je vais m'abstenir (enfin presque).

    Je voulais toutefois mettre ce lien:

    http://www.24heures.ch/pages/home/24_heures/l_actu/vaud/detail_vaud/(contenu)/107728

    "C'était donc bien un meurtre. Pire que les autres peut-être. La victime aura souffert pendant près de sept ans de ses blessures avant de perdre la vie ... "

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  11. Contra, elle vole, Plume, elle vole, dans nos souvenirs, vers d'autres cieux, vers ailleurs....

    J'avoue, je ne saisis pas bien comment on peut être remonté contre les centres lavi : on peut être remonté contre l'un des collaborateurs, ça, oui, je peux imaginer sans peine mais contre le centre.... j'avoue, je ne pige pas.

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  12. beuh ... pas un mot ne sort...

    je ferme internet et file faire un calin a mon bout'chou ....

    des bises Mary
    Lunap

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