mercredi 29 août 2007

A tous les anges

Le deuil périnatal : épreuve terrible, où la grossesse ne devient pas un premier cri, d'avenir, mais un sanglot, de douleur.

Et lorsque le couple confronté à un tel deuil s'entend dire "vous êtes jeunes, vous aurez un autre enfant" ou encore "la grossesse n'était finalement pas si avancée encore", le besoin de faire exister ce bébé qui ne sera jamais bercé mais qui a été tellement rêvé devient encore plus urgent.

Aujourd'hui, j'aimerais "tribuler" très succintement autour de ce drame humain, pour vous présenter quelques aspects essentiellement juridiques, fruits de lectures professionnelles.

Ainsi, le deuil périnatal est un épreuve pas si rare, malgré les progrès de la médecine, comme le rappellent les chiffres : "selon les spécialistes, chaque jour, en Suisse, un bébé naît mort-né et un autre décède pendant son premier mois de vie" (extrait de la borchure "deuil périnatal : droits des parents, devoirs des soignants", publiée par l'association AGAPA).

En Suisse, l'art. 9 de l'ordonnance sur l'état civil (OCE) prévoit que
  1. La naissance d’un enfant, vivant ou mort-né, est enregistrée à l’état civil.
  2. Un enfant est désigné en tant que mort-né s’il ne manifeste aucun signe de vie à la naissance et si son poids est d’au moins 500 grammes ou si la gestation a duré au moins 22 semaines entières.
  3. Le nom de famille et les prénoms d’enfants mort-nés peuvent être saisis si les personnes habilitées à choisir les prénoms (art. 37, al. 1) le souhaitent.
Il y aura donc inscription à l'état civil de tout enfant né après 22 semaines complètes d'aménorrhée (SA) ou ayant un poids de naissance de 500 grammes au moins, même s'il est déjà mort au moment de la naissance. "Dès lors que l'enfant remplit les conditions pour être inscrit au registre des naissances, il sera également inscrit au registre des décès" (in op. cit, p. 10). Et, élément très important, les parents peuvent officiellement donner un prénom à leur enfant, lequel sera inscrit dans le registre.

Ces enfants sont certes inscrits dans les registres de naissances et de décès mais n'ont pas pu acquérir la personnalité juridique (que l'on peut résumer comme étant l'aptitude à être titulaire de droits et soumis à des obligations) . En effet, celle-ci ne peut s'acquérir, en droit suisse, qu'à condition d'être né vivant. Même si c'est juste quelques instants : il faut que soient perçus des signes de vie (battements de coeur, respiration).

Le droit français, quant à lui, requiert que l'enfant soit né non seulement vivant mais également viable (donc, après 22 SA révolues). Ainsi, l'enfant qui naît avant 22 SA révolues, qui respire quelques minutes et qui décède ensuite n'aura jamais été un sujet de droit au sens de la législation française !

Pour les enfants morts-nés avant la 22e semaine d'aménorrhée révolue ou ne pesant pas 500 grammes, aucune inscription n'est prévue. Toutefois, afin de permettre aux parents de "matérialiser" malgré tout cette naissance, différentes maternités délivrent des "attestations", donnant une forme de réalité à cet enfant qui ne grandira jamais.

La femme salariée (indépendante) a droit au congé maternité au sens de la loi sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (LAPG) dès l'instant où la grossesse a duré 22 SA révolues ou si l'enfant est viable.

"Le deuil d'un bébé pendant la grossesse ou après, ce n'est pas le deuil du passé, comme le deuil d'un adulte, c'est le deuil de l'avenir, le deuil du futur et des projets qui viennent avec".

A tous ces parents qui sont confrontés à une telle épreuve, j'aimerais exprimer toute ma sympathie : même si les mots ne sont pas grand-chose dans la douleur, même s'ils sont imparfaits face à ce deuil difficile, je pense qu'ils sont néanmoins importants pour briser la conspiration du silence qui entoure encore trop souvent ces pertes.

MàJ : dans le cimetière d'Yverdon, un nouvel endroit pour tous ces "anges" et pour leurs parents endeuillés.

A bientôt si vous le voulez bien,

15 commentaires:

  1. Difficile de répondre à ce billet, si ce n'est que mes pensées se tournent vers tous ces ex-futurs parents meurtris.
    Des bises
    Nath

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  2. La perte d'un enfant est la pire des choses... Si cela devait m'arriver, je crois que j'en deviendrais folle.

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  3. Je n'y connais rien en droit, ni suisse, ni français, ni belge. Mais j'imagine combien débattre de la question doit être compliqué et passionnant à la fois. Je pense aussi à tous ces parents qui perdent un enfant à 21 SA et qui a qq jours près, se verraient reconnaître officiellement ce décès. Et je pense aux autres aussi, très souvent, ayant à mes côtés une maman dans ce cas, une maman blessée à tout jamais, d'une blessure qui ne cicatrisera jamais. Elle a, tout au plus, résussi à stopper l'hémorragie ...

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  4. La situation juridique au Québec est assez semblable à celle qui a force de loi en France. Pour être sujet de droit, à quelque égard que ce soit, l'enfant doit être né et viable.

    La Cour Suprême du Canada a déclaré que tant et aussi longtemps que l'enfant ne naissait viable, il n'avait aucun droit. Cela devrait inclure en conséquence l'attribution d'un nom.

    N'étant pas sujet de droit, il n'y a pas non plus de filiation qui puisse être établie. Il n'y a ni père ni mère au sens légal du terme.

    Je dois dire que le règles suisses ont manifestement un souci d'humaniser les drames que trop de "parents" vivent. Il y a là une approche dont on devrait s'inspirer.

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  5. L'imaginaire qui se développe au même rythme que l'enfant se retrouve sans objet avec cette non-naissance. Le moment où cela est censé devenir une réalité s'ouvre sur du vide. Il n'y a plus d'imagination possible sur un être futur et rien sur lequel accoler cette peine immense.
    Un trou dans le sol dans lequel tomber serait comme une délivrance.
    La douleur vient autant de la réalité, cette proximité révélée de la mort, que de l'imaginaire qu'il faut détruire aussi…
    Je pense que donner une identité au bébé mort-né est une bonne chose pour cristaliser la peine…
    :-)

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  6. Rien à dire, je repasserai demain...

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  7. Ou comment accepter l'insupportable...

    Que penser de mes amis qui ont perdu une petite fille née à terme sans vie, puis une autre, par accident, il y a juste un an, à l'âge de 19 mois (alors que la maman était enceinte de 6 semaines) ?
    Aujourd'hui, 5 grossesses, 3 filles en vie ;-(((

    Hauts les coeurs, et que nos législateurs sachent rester humains !

    Anneciel

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  8. J'ai eu la chance, dans mon malheur, de vivre quelque chose de similaire. 17SA EN ISLANDE. Un systeme a qui j'ai reproché le manque de presence au moment ou je le vivais, mais je crois aujourd´hui que si je suis comme je suis (whoua ca c'est de la phrase de haut niveau) c'est GRACE a cette attitude mais surtout a leur presence intense et rassurante 6 mois apres et pendant toute la grossesse suivante. cela dit chaque cas est different et ce qui m'a convenu, ne satisfera pas forcement un autre couple/famille ...

    une pensee pour ces enfants de demain qui resteront a hier...

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  9. Etonnant de voir la froideur du droit entrer dans la sphère de l'indisible.

    Pourtant c'est nécessaire, je le sais bien, mais…

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  10. Nath, oui, difficile de trouver parfois les mots...

    Dominique, et pourtant, elles survivent, ces femmes...

    Mémère Cendrillon, il est vrai que cette limite peut sembler choquante et cela pose la question de où la fixer, si tant est qu'il faille en fixer une.

    Omo-Erectus, vous voulez dire que si la veille du terme, l'enfant meurt in utero, il n'aura même pas un prénom dans les registres ?

    Philippe Braye, vos mots sont très forts, je retiens en particulier cet imaginaire qu'il faut détruire...

    Anneciel, ces épreuves qu'ils ont vécues.... j'espère qu'ils ont obtenu le soutien dont ils avaient besoin...

    Val, tu mets le doigt sur un point très important : donner aux gens ce dont ils ont besoin et chaque deuil, chaque couple est différent. Je pense bien à toi...

    François Cunéo, il est en effet parfois "choquant" de traduire une douleur humaine par des lois et des règlements...

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  11. Quand on traverse une épreuve comme celle-là, à 21, 22 ou 24 semaines, ça peut-être pas le côté juridique qui est primordial pour assumer le deuil : C'est certainement un plus de se voir reconnaitre légalement l'enfant, mais il est aussi possible de lui donner une identité, même sans documents officiels.

    Mais, comme il a déjà été dit, chaque couple réagira différemment dans ce genre de situation.

    Dame Poppins, tu cites une loi suisse qui est visiblement en vigueur depuis 2004. Sais-tu si on peut trouver en ligne l'état de la loi "précédente", du genre en 1999 ?

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  12. Syklop, bien sûr, le deuil ne repose pas uniquement sur une inscription mais n'empêche, je pense que pour de nombreux parents, elle est importante parce qu'elle donne ainsi une réalité différente à cet enfant décédé : personne d'autres que les parents ne voient généralement cet enfant mort, personne n'a pu l'embrasser et en plus, il n'existe pas juridiquement ? Ca peut faire beaucoup de "vide", tout ça, "vide" que le droit devrait pouvoir "combler" un tout petit peu, je pense.

    Quant à ta question, tu peux trouver le ou plutôt les textes qui étaient en vigueur avant cette ordonnance : clique ici : tu verras à l'art. 99 que l'OEC a remplacé deux autres textes. Comme tu ne dis pas ce que tu cherches, je ne sais pas dans lequel tu vas pouvoir trouver la réponse. En indiquant le nom de ces deux textes, tu devrais pouvoir les retrouver sur le net.

    Est-ce que cela t'aide ? Si non, fais signe et précise-moi, je verrai ce que je peux faire.

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  13. Merci Madame Poppins pour ces infos : J'avoue que décortiquer un texte de loi ne m'est pas familier :-)

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  14. Je pense que je ne suis qu'un gros muffle, mais ma femme avait eu une fausse couche (une quinzaine de SA), et nous nous étions sentis tout drôle pendant quelques jours - Mais rien de plus. Du point de vue de la nature, c'est quelque chose de fort banal.

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  15. Loupadi, ce n'est pas être un muffle de se sentir "tout drôle" : je pense que le même événement objectivement parlant ne sera pas ressenti de la même façon par différents couples, ni même au sein d'un couple. Et c'est tant mieux, je crois, si cette fausse couche n'a pas laissé de traces profondes dans vos coeurs.

    Toutefois, je peux comprendre qu'il en aille autrement dans certaines histoires, que certaines fausses couches se vivent comme de réels deuils.

    Et... bienvenue sur mon blog :-)

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