jeudi 7 juin 2007

La protection des mineurs (1ère partie)

J'ai parlé, dans ce bref billet, de la colère et de la tristesse ressenties lorsque j'ai appris que la violence intrafamiliale constituait la première cause de mortalité des femmes entre 16 et 44 ans.

Pour moi, qui dit "femme victime de violence" dit aussi souvent "enfants victimes de violence", même si la violence à l'encontre de mineurs n'est, et de loin, pas l'apanage des pères - maris - concubins.

Et j'ai pensé à cette disposition légale qui a pour objectif justement de protéger les mineurs : même s'ils ne sont pas toujours eux-mêmes directement victimes des coups, leur développement peut être grandement menacé par la présence d'un mari - père - concubin maltraitant à l'égard de leur mère, cette forme de maltraitance psychique pouvant se révéler tout aussi dévastatrice que le "langage" des poings.

Certes, la disposition que je vais commenter est cantonale (Vaud); certes, elle est imparfaite mais elle a au moins le mérite d'exister, même si son application reste "difficile" (c'est le moins qu'on puisse dire), non pas parce que la "construction légale" est boiteuse mais principalement parce que les moyens financiers accordés par les politiques sont largement insuffisants. A cela s'ajoute une autre problématique, à savoir l'important déficit d'image dont souffre - commentaire qui n'engage que moi - l'autorité chargée de la gestion de ces signalements.

L'art. 26 de la loi sur la protection des mineurs (LProMin) prévoit que

1. Toute personne peut signaler au département la situation d'un mineur en danger dans son développement. Sous réserve des alinéas 2 et 3, elle peut également la signaler à l'autorité tutélaire.

2. Toute personne qui, dans le cadre de l'exercice d'une profession, d'une charge ou d'une fonction en relation avec les mineurs, qu'elle soit exercée à titre principal, accessoire ou auxiliaire, a connaissance d'une situation d'un mineur en danger dans son développement pouvant justifier l'intervention du département, a le devoir de la lui signaler.

3. Sont notamment astreints à cette obligation les membres des autorités judiciaires, scolaires et ecclésiastiques, les professionnels de la santé et les membres du corps enseignant, les intervenants dans le domaine du sport, les préfets, les municipalités, les fonctionnaires de police et les travailleurs sociaux, les éducateurs, les psychologues scolaires, les psychomotriciens et les logopédistes.

4. L'auteur du signalement est informé de la suite donnée à sa démarche de manière appropriée.

5. Pour les situations relevant d'une atteinte à l'intégrité physique, psychique et sexuelle, les personnes mentionnées à l'alinéa 1 peuvent les dénoncer à l'autorité pénale. Les personnes mentionnées aux alinéas 2 et 3 peuvent aussi le faire, en sus de leur obligation de signaler au département
.

Alinéa premier
L'art. 26 al. 1 LProMin indique que toute personne peut signaler au département (en l'espèce au service de protection de la jeunesse, le SPJ) la situation d'un mineur en danger. Cet alinéa constitue la base légale permettant à Monsieur et Madame Tout le Monde de ne plus détourner le regard lorsqu'ils se rendent compte que l'enfant de la voisine "est en danger".

Les personnes dont l'activité n'a pas de rapport avec les mineurs - Monsieur et Madame Tout le Monde - ont le choix de l'autorité à laquelle elles vont signaler la situation : soit le département, en l'espèce le SPJ ou l'autorité tutélaire, à savoir, dans le canton de Vaud, le juge de paix (art. 110 loi sur l'organisation judiciaire, LOJV).

J'attire l'attention sur la formulation "pouvoir" et non "devoir", obligation faite uniquement aux personnes citées à l'alinéa 2.

Deuxième alinéa
Les personnes qui travaillent, de près ou de loin, avec des mineurs, ont l'obligation de signaler une telle situation au SPJ. Cette obligation est indépendante
- du taux d'activité (temps partiel ou temps complet)
- du caractère de l'activité (travail avec des mineurs de façon principale ou uniquement accessoire).

Troisième alinéa
L'art. 26 al. 3 LProMin explicite le champ d'application personnel de l'alinéa précédent, en dressant une liste exemplative des personnes soumises à l'obligation de signalement. Il s'agit notamment des "membres des autorités judiciaires, scolaires", ce qui ne constitue pas une véritable "surprise" puisque l'on ne saurait imaginer un système légal qui ne soumette pas ses agents à des obligations strictes lorsqu'il s'agit de mineurs; il me semble également "logique" d'imposer cette même obligation aux enseignants, ceux-ci occupant souvent une position privilégiée auprès des mineurs, tant au niveau qualitatif que quantitatif.

L'on peut être en revanche un peu "surpris" de trouver là également "les intervenants dans le domaine du sport" par exemple. Toutefois, il est cohérent de les englober dans l'obligation de signalement dans la mesure où le sport peut occuper une place importante dans la vie d'un mineur, qui ressentira le besoin de faire part de ce qu'il vit à une personne extérieure à sa famille et disposant de sa confiance.

Puisqu'il ne s'agit pas d'une énumératin exhaustive, les autres personnes qui tombent sous le coup de l'art. 26 al. 3 LProMin peuvent être notamment les collaborateurs d'une crèche, les intervenants d'un mouvement scout.

Les personnes soumises à l'obligation de signalement n'ont pas le choix de l'autorité à laquelle elles vont transmettre les constats faits : elles doivent s'adresser au SPJ. Cette obligation respectée, elles sont libres de porter à la connaissance de l'autorité pénale les mêmes faits lorsqu'elles estiment que le mineur est victime d'une atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle (art. 26 al. 5 LProMin), ceci notamment parce que la finalité d'une autorité pénale et d'un service comme le SPJ n'est pas la même : les autorités pénales doivent poursuivre, lorsque nécessaire, les auteurs des maltraitance, tandis que le SPJ doit viser en premier lieu la prise en charge du mineur et la systémique familiale lorsque cela s'avère encore possible.

J'aimerais juste ici donner un exemple, ceci afin d'illustrer le fait que tout mineur en danger dans son développement n'est pas forcément victime d'une atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle (alinéa 5). Il se peut que la voisine constate qu'une jeune fille maigrit de mois en mois et elle s'interroge sur cette perte de poids progressive; elle finit par soupçonner que cette adolescente souffre d'anorexie. Il est fréquent que cette pathologie soit "niée", involontairement, par le reste de la famille, qui ne voit pas la détresse dans laquelle se trouve l'un de ses membres. Les parents ne sont pas "de leur plein gré" maltraitants, ils ne souhaitent pas faire du mal à leur fille, ils ne voient tout simplement pas qu'elle est en danger de mort. Dans un tel cas, il n'y a pas de raison de poursuivre pénalement les parents; en revanche, il est essentiel que la jeune fille et sa famille puissent être pris en charge, aidés et soutenus. Rôle dévolu au SPJ et ses intervenants.

La centralisation auprès d'une même autorité de tous les signalements réalisés par des "professionnels du monde des mineurs" se justifie par le fait qu'elle assure une plus grande cohérence, elle évite des doubles prises en charge ou, au contraire, des malentendus découlant de ce que chaque autorité estime que l'autre est compétente et va intervenir.

Quatrième alinéa
L'information transmise à la personne qui signale n'est évidemment pas détaillée mais il importe, en particulier lorsque l'intervenant est amené à côtoyer le mineur, par exemple à l'école ou dans le cadre d'une activité sportive, qu'il puisse être informé de l'évolution et des mesures prévues de façon générale, ce qui peut lui permettre également d'être plus adéquat dans ses contacts avec le mineur.

Cinquième alinéa
J'ai déjà mentionné la problématique de la saisie de l'autorité pénale et n'y reviendrai par conséquent pas.

Dans un proche avenir, j'ajouterai plusieurs précisions à ce que je viens d'exposer; en effet, il importe de se pencher encore sur différentes questions, comme
- que signifie "mise en danger",
- dans quel type de situation le SPJ peut-il être saisi,
- qui est chargé du signalement : est-ce l'enseignant qui a fait des constats ou est-ce sa hiérarchie,
- les parents sont-ils ou non informés du signalement,
- quelles peuvent être les conséquences en cas de non respect de l'obligation de signalement,
- quel rapport entre le Code pénal (protégeant le secret professionnel) et la LProMin,
etc.

Je terminerai donc ici mes brouillonnes tribulations, la lecture de ce billet vous ayant déjà détourné suffisamment longtemps de vos occupations : allez, quittez mon blog, faute de quoi votre entourage s'estimera maltraité par ma "faute".

A bientôt si vous le voulez bien,

17 commentaires:

  1. Le problème principal auquel sont confrontés les professionnels au moment d'un signalement est la lenteur de réaction. Le SPJ est sous-doté en assistants sociaux, la justice de paix, qui est décisive, est d'une lenteur consternante, la collaboration entre les intervenants est souvent malaisée, bref, ça ne fonctionne pas. Une fois de plus, si l'idée théoriquement est parfaitement justifiée, l'état de Vaud ne se donne pas les moyens pour l'appliquer correctement. Les intervenants du SPJ n'arrivent plus qu'à travailler dans l'urgence, ils ne peuvent plus faire de suivi dans les familles. Les meilleurs d'entre eux, entendez ceux qui agissent et décident, sont en burn-out ou changent d'affectation. Et devinez qui trinque là au milieu ?

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  2. Eh oui, le SPJ est passablement dépassé, et ce n'est pas sa faute mais celle des politiques qui n'ont pas su anticiper le changement de loi.

    Cela dit, pour avoir dû signaler, ces derniers temps (que c'est dur, mais c'est le minimum), il me semble que le système progresse.

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  3. C'est bien ça qui me désole : c'est qu'il ne suffit pas de faire une jolie loi pour que ça marche, il faut aussi avoir les dotations, l'argent, les locaux.

    Et non, François, il n'y a pas eu de réels changements de loi : l'art. 26 LProMin existait déjà, la seule ayant changé, c'est... la centralisation auprès du SPJ mais il était déjà impliqué avant et il existait déjà une obligation de signalement.

    Soupir.... je pars bosser, à plus tard.

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  4. super intéressant ton analyse le grand problème est le décalage entre l'écrit de cette loi et sa mise en pratique, la centralisation au SPJ est théoriquement intéressante mais pratiquement irréalisable surtout avec un patron qui se prend pour Dieu le Père! un peu d'humilité serait tellement nécessaire et permettrait aux malheureux assistants sociaux de partager un peu l'immensité de leur fonction!

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  5. Alice :-) "avec un patron qui se prend pour dieu le père", j'aurais pas osé mais je sens bien là la solide connaissance "terrain" et de la réalité... Donc, bon courage dans l'exercice de ta profession, que la force soit avec toi, même si je ne sais pas qui tu es,

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  6. hé bien je suis daccord avec tout ça.
    Mais je suis toujours dubitative quant à aux moyens mis en oeuvre pour assurer le suivi... c'est un problème "on going".
    Khalam

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  7. Madame Poppins c'est tristement rigolo (et très intéressant) de vous lire, ayant écrit un schmurtz sur la violence conjugale (http://folieabaldaquin.blogspot.com/2007/04/schizo-sverine.html
    sans références légales, et en omettant les conséquences sur le développement d'un enfant. Je suis aussi retournée comme un gant de découvrir que la violence envers les enfants n'est pas que due aux hommes (certaines naïvetés insouciantes et incultes m'ayant fait penser le contraire) et suis donc ravie (même si ce n'est pas le terme adequat) de découvrir un monde professionnel (et altruiste) qui m'est tout à fait étranger. J'ouvre donc les yeux (qui s'ils sont le miroir de l'âme, merde, plus on les ouvre plus ils la rendent amère). Mais il fait bon de les ouvrir.

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  8. Schizozote,

    J'ai "adoré" votre texte (si tant est qu'on puisse adorer un texte traitant d'un sujet aussi grave et moche).

    Et les références légales sont bien peu de choses par rapport à la réalité puisque c'est bien "joli" de se doter d'un système relativement bien "foutu" lorsqu'on ne donne pas à ce système les moyens de fonctionner "correctement", à savoir dans l'intérêt des mineurs en danger dans leur développement...

    J'espère avoir encore souvent l'occasion de vous lire : les sujets ne sont pas toujours aussi graves et parfois, rire un peu, ça fait du bien dans ce monde de brutes !

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  9. Bonjour Madame Poppins,

    Fort intéressant, votre blog, en général :-)

    J'ai séjourné dans une famille suisse en 99 (Jura) et après avoir été témoin de plusieurs actes violents de la part du père sur ses enfants et tenté sans succès de "raisonner" la mère pour qu'elle fasse quelque chose (ça n'avait pas d'allure...), j'ai fini par rapporter leur situation au médecin du village. Comme étrangère, je ne savais trop où m'adresser pour qu'on s'occupe d'eux...

    Parfois, je pense à ces petits et je me demande ce qui est advenu d'eux... En lisant votre article, je me réjouis quand même de savoir que les lois de votre pays, en matière de protection de la jeunesse, ressemblent aux nôtres et donc que le médecin en question a probablement fait un suivi sur la question... Oufff!

    La grenouille

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  10. la grenouille, j'ai très envie de croire que ce médecin a fait quelque chose... à moins qu'il ne soit un copain de parti (politique), de fanfare du père.... Les lois peuvent rester lettre morte quand d'autres intérêts viennent parasiter la construction...

    A bientôt j'espère,

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  11. bonjour,
    je tenais à vous dire bravo pour votre excellent blog!
    je suis étudiante en droit et c'est en cherchant quelques compléments d'analyse sur l'art 123a CST ( qui me semble inapplicable et "anticonstitutionnel" - etrange pour un article de la CST?!-) que je suis tombée sur vous!!! du coup j'ai zappé mes révisions (ben bravo les exs c'est lundi...)
    merci encore

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  12. bonjour,
    je tenais à vous dire bravo pour votre excellent blog!
    je suis étudiante en droit et c'est en cherchant quelques compléments d'analyse sur l'art 123a CST ( qui me semble inapplicable et "anticonstitutionnel" - etrange pour un article de la CST?!-) que je suis tombée sur vous!!! du coup j'ai zappé mes révisions (ben bravo les exs c'est lundi...)
    merci encore

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  13. L'apprentie, welcome !!! Enfin quelqu'un qui va "goûter" mes tribulations juridiques parce que là, jusqu'à présent, je sentais bien que je devais les commentaires à l'amitié que me portent mes copines ! Revenez donc souvent, hein, vous serez toujours la bienvenue.

    Et trois fois merde pour les examens !!!!!!!

    Je vais de ce pas relire l'art. 123a Cst (me souviens plus ce que c'est, j'ai quand même passé mes examens "sous l'ancienne cst", c'est dire si je suis vieille !

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  14. Je ne sais pas si ça va te consoler, mais il semble que dans toutes les démocraties on vote beaucoup de lois pour venir en aide aux plus faibles, ou sous la pression de tel ou tel groupe de pression, mais sans vraiment se soucier de leur application.

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  15. Archeos, cela ne console pas mais cela permet au moins de se dire que le manque "d'entrain" à l'application ne provient pas de la loi. Dommage que ce "non-souci" de l'application concerne toujours les plus petits, les plus faibles et les plus démunis !

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  16. Merci, ton texte ma beaucoup aider a proteger une amie en danger...

    Ps deso pour les faute c parceque j'ai un qwerty.

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  17. Spash, aucun problème pour les fautes, ce qui est compte est ailleurs : je suis très touchée de lire que tu t'es senti(e) plus à même d'aider une amie grâce à mon texte. Je suis aussi très touchée de lire que tu t'investis autant pour aider une personne qui a besoin d'aide, je trouve ça vraiment très beau.

    Je te souhaite, à toi et à ton amie, une excellente continuation et peut-être auras-tu envie de revenir, un jour, donner des nouvelles !?

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