dimanche 28 octobre 2007

Tout au fond de moi

Tu es arrivée en même temps, exactement à la même seconde et depuis lors, tu ne m'as plus quittée. Pas d'une semelle, pas d'un seul pas.

Pourtant, souvent, je t'ignore, je fais semblant de ne pas te voir, de ne pas te sentir, même si je sais que tu es là, tapie, à l'affût. Malveillante.

Et lorsque je ne parviens plus à te contrôler, lorsque je ne sais plus comment te réduire au silence, je te tire la langue, je te défie, je me mesure à toi. Et je crâne, comme lorsque, petite, j'affrontais ma peur du noir en sifflotant, avant de trouver avec soulagement l'interrupteur, salvateur parce qu'il permettait le jaillissement de cette lumière qui faisait disparaître les monstres de mon imaginaire.

Aujourd'hui, je ne siffle plus pour te conjurer mais tout comme hier, je veux vaincre et me refuse à te laisser gagner. D'ailleurs, tu ne vaincras pas. Jamais.

Et je lutte, de toutes mes forces, avec toute l'énergie que j'aie, avec obstination. Parfois avec froideur, méthode, parfois avec rage, colère.

Je me berce de temps en temps dans l'illusion que tu es partie, pour une autre proie, pour une autre cible. Mais je ne suis jamais dupe bien longtemps : toujours, tu seras une compagne de voyage, une ombre sur mes traces.

Les années qui passent ne t'adoucissent pas : traître tu es, traître tu seras toujours. Et longtemps encore, tu viendras m'étrangler; longtemps encore, tu me tomberas dessus, revêtant tellement de visages différents.

D'autres femmes m'avaient parlé de toi, me disant que tu existais depuis la nuit des temps et qu'aucun talisman ne pouvait venir à bout de tes mauvais desseins mais jamais, je n'aurais imaginé que tu puisses être aussi puissante, toi, mon angoisse, que j'ai expulsée immédiatement après le placenta, ce 1er février 2003, où j'ai donné naissance à mon premier enfant.

Toi, mon angoisse qui me fais parfois craindre pour le bonheur de mes enfants, imaginer le pire, redouter pour eux des souffrances aux mille contours, envisager qu'ils puissent ne pas être entendus, ne pas être soutenus, ne pas être compris, les proies faciles d'un monde que je ne saisis pas toujours.

Tu vois, mon angoisse, même si ce soir, tu m'es tombée dessus insidieusement, sans crier gare, alors que j'écoutais le souffle tranquille de mes enfants endormis, tu n'as pas gagné : je vais aller dormir tranquille parce que je t'ai déposée sur cette page blanche.

Sur laquelle tu resteras jusqu'à la prochaine fois.

27 commentaires:

  1. Merci, Mary pour ce beau témoignage.

    C'est vrai que d'être mère ne facilite pas l'angoisse. Pour ma part, c'est plutôt de l'anxiété, voire mes les anxiétés... La vie d'adulte nous réserve beaucoup de bonnes et mauvaises surprises et elle n'est vraiment pas facile à affronter. Cela dit, et je le redis, toutes ces épreuves nous font grandir et nous amène une certaine sérénité (paradoxalement).

    Je pourrais encore parler pendant des heures de cette thématique, mais Juniorette me tanne pour aller déjeuner (ah ces enfants !), donc je te laisse. Bon dimanche d'heure d'hiver.

    Amitiés sincères

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  2. "je vais aller dormir tranquille parce que je t'ai déposée sur cette page blanche"

    Je te comprends, et j'ose croire que ce que tu écris ne m'est pas étranger.

    Très sincèrement à toi.

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  3. Hé bé ! C'est le passage à l'heure d'hiver qui vous fait cet effet-là ?

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  4. Superbe!
    Madame Poppins a-t-elle déjà tenté la cessation des hostilités? Une méthode comme une autre hein? Même si on n'y parvient jamais tout à fait. Pour un jour ou une semaine c'est selon, juste comme une expérience. Lorsqu'elle frappe à la porte - je sais elle n'a pas cette délicatesse! - lorsqu'elle enfonce la porte, l'inviter à ta table. Attention à ne pas oublier la vaisselle des jours de fête et la belle nappe, c'est qu'elle est susceptible la bougresse! Une bougie et une bonne bouteille s'imposent...

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  5. MP tu as un tel don, de dire (écrire) les choses que nous sentons tous (en tout cas beaucoup entre nous mères, moi aussi) !
    Merci pour ces lignes et j'espère que ces angoisses ne te "bouffent" pas, mais te donne de l'énergie de jouer ton rôle de maman aussi bien que possible en laissant la liberté de développement nécessaire à tes deux chérubins.
    Malgré que mes enfants soient déjà "bien grands" et malgré qu’un des deux ait déjà quitté le nid familial, ces sentiments d'angoisse et de vouloir protéger ces êtres que nous avons mis au monde, persistent.
    Allez ! Une vraie torrée neuchâteloise nous attend, avec saucissons dans les braises etc.
    Bises Sirène

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  6. En commentaire en guise de menottes, pour la retenir encore un peu prisonnière ici.

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  7. Très beau! Merci MP.
    Moi, je la sens déjà, et ils ne sont pas encore là...
    Bises

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  8. Oui, elle est bien là aussi chez moi cette angoisse que tu décris. Et ce n'est pas facile de la mettre de côté. Heureusement qu'elle s'efface pendant les moments de bonheur partagés avec les enfants...
    Merci pour ce joli texte !

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  9. Et l'angoissse de ne jamais finir ce P***IN de puzzle, hein ?

    Comment je troll ?

    :)

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  10. Très belle page.

    Mais sinon, je pense qu'il existe des natures plus anxieuses que d'autres, non ?
    Moi-même, qui n'ai pas (encore) d'enfants, je suis terrorisée dès que j'en vois un courir, j'imagine déjà dans ma tête le vol plané et les genoux en sang, pendant que la mère - elle - très habituée, reste zen...

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  11. merci de ce témoignage Mary qui me parle tellement, avant que tu l'as nomme elle me parlait cette angoisse pour nos enfants, angoisse qu'ils souffrent: maladie, accident mais aussi angoisse qu'ils soient malheureux, malcompris, humiliés, critiqués et j'en passe quel serrement de coeur devant leurs larmes quand il ressente l'injustice, la trahison...bon dimanche Mary et bisous à tes fils
    Alicia

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  12. Je me souviens de tes mots ...
    " Sur chaque route, au détour de chaque virage, tu auras son souvenir mais n'emporte pas avec toi la peur..."
    Tes mots sont arrivés dans ma tête comme un électrochoc, tu avais mille fois raison. Et quelques jours après je réussissais à vaincre l'angoisse en reprenant le guidon...
    Je voulais juste te le dire, comme ça, au détour d'une réflexion sur l'angoisse. Ne pas garder les émotions choc, lâcher prise pour avancer plus sereinement.
    tendrement et tranquillement tout s'installe, même l'absence d'angoisse.

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  13. Et en plus ces petits cons ont beau grandir et partir, l'angoisse, elle, demeure. Et puis après on transfère l'Angoisse sur les petits-enfants. C'est bien aussi.

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  14. Si beau, si vrai, et non, elle ne vaincra pas.

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  15. Pour avoir fréquenté (et continuer à le faire) les hôpitaux d'enfant, j'ai connu cette angoisse. Le pire, c'est de la voir dans les yeux de tes enfants. Ce jour là, il te faut bien dominer la tienne pour expliquer à ton enfant qu'il doit lui même ne pas céder à la sienne. Cela t'apprend beaucoup. Et surtout, cela te rappelle que les moments sans angoisse et sans peur, qui sont nombreux, doivent être vécu pleinement, qu'il ne faut pas les laisser filer bêtement.

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  16. Quand je pense que mes deux seules angoisses à l'heure actuelle sont :

    1. Réussir à passer mon année
    2. Installer Leopard et qu'il marche sans problème...

    Je fais pâle figure face à tes angoisses, Mary...

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  17. L'angoisse...

    Voilà un sentiment que je connais trop bien et qui a fait pâlir bon nombre des heures que mon existence à connu jusqu'à ce jour. J'aimerais tellement apprendre à la gérer si ce n'est pas à la supprimer. Je ne suis pas encore mère et loin de le devenir, toutefois les angoisses remplissent chacun des instants qui sont pour moi une épreuve et que j'ai peur de ne pas savoir maîtriser.

    Mais quand revient le silence et que l'appaisement du départ de l'angoisse se fait ressentir, je me sens enfin revivre.

    Je le sais, l'angoisse n'est pas loin, elle me guette au coin du prochain de mes soucis mais en attendant me voilà sereine...

    Merci Mary pour ce magnifique texte qui me fait tellement penser à ce que je suis...

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  18. @Sirène "MP tu as un tel don, de dire (écrire) les choses que nous sentons tous (en tout cas beaucoup entre nous mères, moi aussi) ! "

    Heeeuu…

    Et les pères?

    Les pères aussi, je te rassure, la ressentent cette angoisse permanente.

    Dommage d'ailleurs, on s'en serait bien passé.

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  19. Pas d'enfants, pas d'angoisse : c'est ce que je dis toujours...

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  20. @MP
    Une dame que je rencontre régulèrement depuis des années m'a dit un jour: "L'angoisse ou qui que ce soit ne pourra quelquechose contre toi que si tu le veux bien".
    je sais que "it is a trick", mais ça peut aider.
    Je m'en sers de temps à autre(s).

    J'avais oublié de te dire combien j'ai trouvé plus-que-belle, la manière dont tu as écrit.
    c'est fait.

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  21. En plein dans le mille, ma douce

    ts mots ont toujours su faire mouche.... ils collent à ce que je pense et sont certainement parmi ceux qui ceux dans ma tête, tapis... et qui ne sortent pas ou si rarement...

    Les entre saisons sont si sournoises...

    si amies avec l'angoisse...

    je t'embrasse très fort et chacune de notre côté, le combat est là, oui la lutte

    je t'embrasse

    on m'attend pour une formation

    Des bises


    Pascalou

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  22. Et pourtant, pour rien au monde je ne reviendrais en arrière, au temps où je ne soupçonnais même pas l'existence d'un tel sentiment!

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  23. Maître Poppins, tes envolées littéraires donnent envie de te voir plaider ;-)

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  24. Sylphide, comme toi, j'essaie de me dire que toute épreuve me fait grandir mais bon, là, je fais déjà 1m74, ça suffit ;-)

    Franklin, "évacuer", d'une manière ou d'une autre... et la page, blanche, ou le clavier, c'est une méthode comme une autre...

    Didier Goux, non, c'est le fait d'avoir des enfants : vous avez veillé à votre propre quiétude !

    Sugus, tiens, oui, je pourrais la laisser venir mais j'ai peur qu'elle ait des répercussions sur mes enfants "non, tu n'iras pas tout seul jusqu'à la place de jeux, non, tu ne peux pas aller dormir chez ton copain, je ne connais pas bien ses parents".... Et ça c'est la raison pour laquelle je lutte : je ne veux pas que l'angoisse étouffe et rejaillisse sur mes enfants !

    Sirène, c'est ça qui est "terrible" (et si beau à la fois) : peu importe l'âge des enfants, on reste leur mère !

    Nath, avec deux, tu n'auras pas le temps d'avoir la trouille.. Je pense bien à toi et te souhaite le meilleur !

    STV, tu pourrais pas l'emporter au fond de tes galeries ?

    Anange, et heureusement, il y a beaucoup beaucoup de bons moments, tendres, rigolos, surprenants et c'est aussi ça qui est génial avec les enfants : on est toujours surpris !

    Mister, tu ranges ton mode troll et tu viens m'aider à "terminer" le puzzle ?

    Célestine, le genou écorché et la jambe cassée, franchement, ça, c'est "peu de choses".... l'angoisse de la mère se focalise sur des choses bien plus atroces... Le seul moyen d'éviter une chute, c'est d'envelopper Bambin dans du coton... pas très pratique ! ;-)

    Alicia, tes mots résonnent en moi, je "vois" bien qu'on partage le même type de sentiments par moments... Courage !

    Féekabossée, tes lignes m'ont mis les larmes aux yeux... toi aussi, tu as mille fois raison !

    Catherine, quoi, faut que je leur conseille de ne jamais avoir d'enfants ? ;-)

    Mémère Cendrillon, évidemment qu'elle ne vaincra pas, je suis pas du genre à me laisser faire... mais diantre, quelle lutte par moments !

    Bruno, ne dit-on pas qu'il faut avoir connu la nuit pour apprécier le jour ? Mais ce que tu dis, voir cette angoisse dans les yeux de son enfant, d'un enfant, ça, ça doit être vraiment terrible.

    KHannibal, ce qui est "bien" avec la vie, c'est qu'à chaque stade, y a des angoisses... et y a pas de classement des angoisses... y a juste besoin de trouver des moyens pour faire face. Donc, t'installes pas Léopard-Machin et tu bosses pour la fac, CQFD !

    Sissi, ton pseudo et "sereine" commencent par la même lettre : j'espère qu'il y a là un de ces hasards heureux !

    François, je suis convaincue que les hommes connaissent exactement les mêmes angoisses. Sauf qu'ils sont tellement pudiques que jusqu'à présent, très très très rares sont ceux qui m'en ont parlé.

    Je reviens,

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  25. Franklin, avec d'autres mots, j'ai cette phrase en tête : je me demande juste pourquoi je ne me la rappelle jamais "quand il faut"...

    Pascalou, tu sais, ça fait souvent du bien de savoir qu'on n'est pas seule à ressentir quelque chose... Comme si fardeau partagé était moins lourd...

    Coco, impossible pour moi d'envisager ma vie sans mes Gremlins !

    Smop, merci :-) (mais tu vas être déçu, avocate de pacotille, je ne plaide plus, sauf ma cause à l'administration des impôts !)

    Merci pour vos commentaires, ils m'ont beaucoup touchée : ce n'était pas sans crainte que j'ai pressé le bouton "publier" cette nuit-là...

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  26. @ mp,
    "je me demande juste pourquoi je ne me la rappelle jamais "quand il faut"...
    1-T'es pas un peu angoissée par hasard ?
    2- parce qu'après tout tu n'es, nous ne sommes que des humain(e)s avec tout ce que ça comporte comme variante(s).
    On se rassure en s'attachant à un/des systèmes de pensée, des trucs.
    Étant les plus mauvais juges de nos propres actions, l'objectivité passe involontairement au second rang.
    Donc "ça" ne marche pas et arrive très logiquement un petit coup de stress supplémentaire (je croyais bien pourtant que ...) et ainsi de suite.

    Encore merci pour nous permettre de parler de ces sujets trop peu abordés.
    Un autre, un autre.

    Très amicalement.

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  27. quelle glue cette angoisse qui vient même quand on n'en veut pas... je m'angoisse pour des choses qui sont censées arriver dans 1 an, 5 ans, 10 ans, 20 ans...et puis j'oublie comme toi jusqu'à la prochaine fois, jusqu'au truc auquel je n'avais pas encore pensé... mais en effet elle est indisociable du fait d'avoir des enfants et impossible de se passer d'eux...

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